Le bazar du bordel des données informatiques

Samedi, je vais travailler avec Jean-François Noble. Il m'a demandé de rassembler un peu tous les dossiers des projets sur lesquels nous avons travaillé ensemble sur l'ordinateur que j'amène avec moi. C'est un gros ordinateur avec quatre gros disques durs.
Les premiers projets menés ensemble datent de 2014. Rien que sur le NAS[1], cela représente 1,629 To. Tout n'y est pas. En plus de dix ans, j'ai utilisé cinq ordinateurs différents et, bien sûr, en personne hyper organisée, je me suis arrangé pour ranger, classer, organiser tout ça. Bien entendu, il n'y a aucun doublon, évidemment, tout est facile à retrouver.
Il faut comprendre comment nous travaillons Jean-François et moi. Je vais chez lui avec deux ordinateurs, tout mon matériel photo (appareils, objectifs, pieds, matériel d'éclairage) et nous commençons par boire un café et à discuter du projet en cours. On imagine un plan d'action, les photographies à réaliser notamment. Ensuite, après avoir fait ces photographies et avoir eu plein de nouvelles idées qui annulent ou complètent celles déjà existantes, on va travailler sur l'ordinateur. Le projet se construit sur une base qui change en profondeur au fur et à mesure que d'autres idées enthousiasmantes arrivent. A chaque fois, j'enregistre une nouvelle version du travail en cours.
Au bout de la journée, je me retrouve avec facilement une centaine de fichiers dont certains devraient être supprimés. Parfois, selon le projet, tout cela dure une journée ou plusieurs jours. On a une bonne base de travail. Nous avons une bonne idée de ce que nous souhaitons obtenir. Tout est là mais rien n'est terminé.

Après, je reviens chez moi et je fignole. Je copie les fichiers sur le NAS et sur l'ordinateur sur lequel je travaille. J'en suis déjà à deux ou trois copies de tous les fichiers. Et là, rapidement, plus rien n'est synchronisé. Et c'est le bordel qui commence. A un moment, je ne sais même plus ce qui a été modifié, ce qui est où, ce qu'il faut conserver. Depuis ce matin, je copie depuis plusieurs sources ce que je vais amener en contrôlant les fichiers pour savoir lesquels sont les bons. Je viens de terminer. J'ai récupéré un peu plus de 500Go de données en sachant que tout ne sera pas utile.

Note

[1] périphérique de stockage informatique relié à un réseau

Sans tête, sans bras et sans jambes

Vénus Jean-François Noble
Numérisation 3D


Il y a des années de cela, Jean-François Noble, plasticien de talent, me confiait un fichier de la numérisation 3D d'une de ses sculptures en pierre réalisée par un de ses amis. Ni Jean-François ni moi ne savions bien que faire de ce fichier. Or, cela ne vous aura peut-être pas échappé, depuis quelque temps je m'essaie à l'apprentissage de Blender, logiciel libre de 3D. Et alors, j'ai eu l'idée de tenter d'exploiter ce fichier.


Ce samedi, je vais chez Jean-François pour travailler sur ses dernières créations. J'aime beaucoup travailler avec cet artiste.

Je l'ai baptisée Alice mais je ne sais pas pourquoi

Mettant à profit une attaque subreptice d'une sorte de Covid[1], j'ai déserté le blog depuis une semaine. Depuis hier, la tendance est vers un rétablissement certain et je reprends mes activités en vous présentant ma copine Alice.

animal de compagnie
Araignée domestique

Note

[1] à moins que ce soit autre chose voire une maladie rare d'une extrême gravité

La désinvolture est une bien belle chose — Philippe Jaenada

C'est l'histoire de Kaki, d'une partie de sa vie et puis de sa mort. L'histoire de Jacqueline Harispe morte par défenestration en 1953, à l'âge de vingt ans, à Paris, pas loin du cimetière Montparnasse. Accident ou suicide ? Assassinat ? Sans doute une lassitude profonde, l'idée d'en finir. Philippe Jaenada part de ce fait divers pour nous raconter une autre histoire, peut-être bien le vrai sujet du livre.
De l'histoire brève d'une jeune femme morte à vingt ans, comment en vient-on à décider à faire le tour de France en voiture de location en longeant les côtes, les montagnes, les frontières du pays ? Comment d'une affaire tout à fait parisienne, d'une affaire qui se passe majoritairement dans un tout petit quartier parisien, en vient-on à boucler un voyage au plus près des limites du pays ? Pour moi, ce livre raconte deux histoires distinctes que rien ne semble pouvoir raccrocher l'une à l'autre.
Soixante-dix ans séparent la mort de Kaki et le voyage en solitaire de l'écrivain. Ce qui, sans aucun doute, relie la jeune femme et l'écrivain voyageur, c'est la quête. La quête de quelque chose, d'une réponse, d'une explication, d'une raison à tout ça, le pourquoi de la vie, le pourquoi du comment, le pourquoi pour le pourquoi. C'est un travail d'introspection dans lequel l'auteur essaie de recoller les morceaux et imagine qu'il trouvera une réponse à ses questions en questionnant ce qu'il pourra trouver en enquêtant sur la vie et la mort de Kaki ainsi que sur celles et ceux qui l'entouraient. En enquêtant aussi sur un Paris qu'il n'a pas connu, un Paris qui n'existe plus, et qu'il va s'appliquer à reconstituer avec minutie, traquant les traces encore aujourd'hui présentes ou se plongeant dans les archives, les photographies, les mémoires.

Il est question de désinvolture. le dictionnaire de synonyme donne comme équivalence : légèreté, aisance, liberté et grâce mais aussi impolitesse, grossièreté, inélégance ou arrogance. Gardons les termes positifs. Ce sont eux qui qualifient bien l'écriture de Philippe Jaenada. Il y a bien de la désinvolture dans son style. De l'auto-dérision, de l'humour, de la délicatesse, du détachement. Le livre commence par le vrai point de départ choisi pour son tour de France derrière un volant. Dunkerque. Il faut bien partir de quelque part. Dunkerque, c'est la mer du Nord, la pointe la plus septentrionale de la France continentale. Philippe Jaenada met en place les rituels qui seront de mise tout au long du voyage. Trouver un bar où l'on sert du whisky, un restaurant pas trop mauvais, un hôtel sympathique où dormir. Il voyage seul mais tout de même en compagnie de Gladys, la voix du GPS embarqué. Il ne va pas raconter les autoroutes et les routes empruntées mais va nous faire faire des sauts de puce d'étape en étape.
Après Dunkerque, Veules-les-Roses, Cherbourg, Dinard, Konk-Leon (le Conquet), Saint-Nazaire, Saint-Jean-de-Monts, Saint-Georges-de-Didonne, Arcachon, Hendaye, Bagnères-de-Luchon, Port-Vendres, La Grande-Motte, Toulon, Menton, Briançon, Évian-les-Bains, Montbéliard, Wissembourg, Sedan, Givet, Maubeuge et, fatalement, Dunkerque avant le retour à Paris.
Chaque étape est l'occasion de faire le point sur l'enquête et de dévoiler des anecdotes personnelles. Au rythme des sauts de puce, on apprend à connaître les amis de Kaki, le bar « Chez Moineau » et par là-même Guy Debord et le photographe Ed van der Elsken qui a documenté cette jeunesse des tout débuts des années 50 à Paris.

Dans ces années là de l'immédiat après guerre vit une jeunesse qui n'a pas connu l'enfance insouciante, qui a vécu des drames, qui a pu perdre ses parents, ses frères et sœurs, ses proches. Une jeunesse en recherche d'une raison de vivre, une jeunesse en quête de sens, une jeunesse perdue qui cherche des solutions dans l'alcool, dans la drogue, dans le sexe. Une jeunesse qui cherche à fuir une époque qu'elle ne comprend pas et qui ne les comprend pas. C'est le vertige destructeur d'une jeunesse en dérive.
Le petit groupe formé avec et autour de Kaki vit de ce qu'il peut. A l'occasion, on se fait voleur pour se payer de quoi boire, se droguer et manger, on se prostitue, on se débrouille. Le Paris de l'époque est encore pauvre, majoritairement populaire. L'occupation allemande est encore dans les esprits et si la guerre est finie, le bonheur tarde à arriver. Philippe Jaenada fait revivre ce Paris qu'il n'a pourtant pas pu connaître. La France est encore en guerre, loin, là-bas en Indochine. Bientôt, elle le sera de nouveau en Algérie. Mais ça, Kaki ne le saura jamais.

Ce livre fait appel à la désinvolture mais ne serait-il pas plutôt question de mélancolie, d'une triste mélancolie, une mélancolie sensible ? C'est à dire que la vie et la mort de Kaki et même le voyage de l'auteur autour des limites et frontières nationales ne respirent tout de même pas la joie de vivre. Que ce soient ces jeunes qui passent leurs journées à picoler dans un bar miteux ou que ce soit un écrivain (très bon néanmoins) qui voyage seul, avec son GPS pour unique compagne, sans autre but et destination que Dunkerque, ce n'est pas ce que j'appelle de la joyeuse gaudriole.
Moi, je pense que Kaki, c'est un prétexte, une icône romantique, une excuse à la mélancolie. Philippe Jaenada est un poil plus vieux que moi (de quelques mois). Nous sommes de la même génération, nous avons connu peu ou prou les mêmes périodes, les mêmes événements, les mêmes espoirs et désillusions. Nous sommes nés sous de Gaulle, avons connu Pompidou et Giscard, Mitterrand et Chirac ; nous avons peut-être écouté les mêmes musiques, vu les mêmes films, lu les mêmes livres. Les tourments des vieux jeunes nés dans les années 60 doivent être communs à pas mal de celles et ceux nés ces mêmes années.
Kaki est née en ou vers 1933. Au début des années 50, Guy Debord porte les germes du Situationnisme en lui. En gros, le Situationnisme propose que l'on participe à la révolution en créant des situations à partir des moments de sa vie, sans s'occuper plus du passé que de l'avenir. Chaque individu doit s'auto-gérer et vivre dans la plus extrême liberté d'être. Il y a une forme d'hédonisme mâtiné d'une dose de cynisme et de nihilisme de bon aloi. La doctrine veut en finir avec le capitalisme en le ridiculisant et en ridiculisant ce qu'il produit. Ainsi, on détourne, on se moque mais, surtout, on boit beaucoup. Le petit bar « Chez Moineau », rue du Four, en est le témoin.
Pour la génération qui suivra, il y aura le Flower Power, qui prendra fin avec l'assassinat de Sharon Tate par des membres de la secte de Charles Manson. Là aussi on peut voir une jeunesse qui tente de survivre dans une société qui propose la guerre du Viêt-Nam et la guerre froide comme uniques perspectives. Et là aussi, on peut voir des jeunes s'adonner sans retenue à l'illusion de la consommation de drogues, d'alcool et de sexe.
Pour ma génération, il y a le mouvement Punk anglais qui répond à Thatcher, à Reagan, au capitalisme et au libéralisme naissant. Alcool, drogue, sexe, toujours au rendez-vous. La décennie suivante aura le mouvement Grunge.
A chaque période ses icônes. Amy Winehouse, Kurt Cobain, Sid Vicious, Janis Joplin, Hendrix, Morrison… Est-ce que Kaki a sa place dans ce funeste panthéon ? Ce qui me semble certain, c'est que Philippe Jaenada cherche dans le suicide de Kaki une ou des réponses à la mélancolie d'une partie de la jeunesse, de toutes les époques. Les raisons de cette mélancolie ne sont pas toujours semblables, les solutions, elles, se ressemblent souvent.

Ce livre n'est pas joyeux. Les précédents de l'auteur ne le sont pas particulièrement non plus, il faut le reconnaître, mais, habituellement, Philippe Jaenada mène l'enquête et traque le ou les coupables. Là, s'il s'agit bien d'un suicide dans le cas de Jacqueline Harispe, la coupable est connue depuis le départ. L'enquête consiste à reconstituer ce qui a mené une jeune femme décrite comme belle, vive et intelligente à se jeter par la fenêtre d'un hôtel parisien alors qu'elle est enceinte et amoureuse d'un beau soldat américain. On sait qu'il n'y aura pas de réponse à la question et ça finit par tourner en rond dans la tête, comme on fait un tour de France en voiture et en solitaire pour revenir au point de départ avec toujours cette question : « Pourquoi ? »


La désinvolture est une bien belle chose — Philippe Jaenada — Mialet Barrault éd. - ISBN 978-2-0804-2729-8

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